J'étais en train de regarder la télévision avec ma sœur, lorsque j'entendis les cloches de l'église d'à côté qui sonnèrent, il était midi. Comme chaque jour et depuis quelques semaines de cela, ma mère ne s'était pas encore levée, elle qui d'habitude se réveillait aux aurores. Je jetais un coup d'oeil à Theddie, et en un regard seulement, on réussit à se comprendre. J'avais pourtant essayé de prendre sur moi, mais c'en était trop. Telle une furie, je me levais et me précipitais dans l'ancienne chambre de mes parents, qui n'était devenue que l'ombre d'elle-même. Avant que mon père ne s'en aille lâchement, elle dégageait un certain charme, j'aimais m'y rendre, car elle représentait tout un tas de choses. A présent les vêtements jonchaient le sol, et une triste morosité se faisait ressentir. Sans même prendre la peine de frapper, j'ouvris violemment et me dirigeai vers ma mère qui était emmitouflée sous les couvertures. « Ça suffit ! » Je n'avais jamais osé lever la voix sur ma mère, jamais. La colère avait cependant pris possession de moi, aussi bien que je ne contrôlais plus totalement mes faits et gestes. J'ouvris les stores, puis la fenêtre en elle-même, et vins me repositionner devant ma génitrice. « Maman, j'ai dit stop ! DEBOUT, lève-toi. LEVE-TOI ! » Je m'impressionnais moi-même. « Il est midi ! Papa est parti, ça va faire presque un mois. Tu crois que lui il passe son temps à se morfondre ? NON, IL VIT SA VIE. ALORS SORS DE CE LIT. » Ma mère me regardait, bouche bée. Son regard était vide, comme beaucoup ces derniers temps. Peu de temps avant, elle ne se serait pas gênée pour me donner une claque, mais elle ne fit rien. Moi, je tremblais de tous mes membres, et les larmes commençaient à couler. J'avais dix-sept ans, et l'impression d'en avoir pris vingt d'un coup. Du jour au lendemain, je m'étais trouvée être quasiment maîtresse de maison. Et surtout, j'avais mal. Je comprenais sa souffrance, mais je ne voulais pas qu'elle se laisse aller, je voulais qu'elle se batte, qu'on y arrive ensemble, toutes les trois. Theddie fit irruption dans la pièce, elle aussi les larmes aux yeux. Elle tenta de s'approcher, mais je lui fis signe de rester l'écart. Ma mère s'assit doucement sur le lit, les lèvres pincées. « Je suis fatiguée. » Une pulsion venue de nul part me poussa à retirer la couette des jambes de ma mère, et je repris de plus belle. « Mais tu crois que nous on ne l'est pas ? Je suis fatiguée de faire le ménage, toute la vaisselle, toute la lessive, et j'en passe! Ton mari est parti avec une blondasse, oui, et c'était aussi notre père ! » Je parlais de mon père au passé, comme si tout lien avait été rompu depuis lors. Pour ma part, c'était un peu le cas. J'avais tout de même conscience d'être dure envers elle, mais j'avais l'impression que si je ne la secouais pas, alors on ne s'en sortirait jamais. « Maman, je t'en supplie. » Et là, je me mis à genoux au bord du lit. Comme un bébé, je fondis en larme, sans parvenir à m'arrêter. Entre deux sanglots, je réussi tout de même à articuler ces quelques mots. « Je t'en supplie. » Surprise, je sentis une main se poser dans mes cheveux, celle de ma mère.

« Je n'ai jamais imaginé ma vie comme elle l'est à l'heure qu'il est. Je ne pensais pas pouvoir en arriver là un jour. Pourtant, j'avais tout pour avoir la vie dont je rêvais. Mais dans mes rêves, j'avais omis d'inclure les aléas de la vie, et les sacrifices qu'il faut parfois savoir faire. »

Divorce. Ou un mot que je m'étais promis de bannir de mon vocabulaire. Quelque chose que je m'étais à jamais refusée de vivre. Assisse autour de la table de la salle à manger, je tripotais nerveusement ma tasse de thé. Devant mes yeux se trouvaient les papiers du divorce, la signature d'Ethan se trouvait déjà dessus. Voilà une semaine qu'ils étaient arrivés, pourtant je n'arrivais pas le faire. Si je signais, alors cela voudrait dire que ce serait fini, pour de vrai. Je n'y arrivai. Pourtant j'étais celle qui avais prise l'initiative, qui avait entamé la procédure, mais quelque chose m'empêchait d'aller jusqu'au bout. Mon regard faisait des allers et retours entre la feuille, et le stylo qui se trouvait à ma droite. Je soupirais, et regardais autour de moi. Dans chaque recoin de l'appartement, j'arrivais à revoir quelque chose de mémorable qui s'y était passé. Le passé me hantais, chaque jour. La sonnette me fit sortir de mes pensées, une petit boule se forma dans mon ventre. Avant même que j'eus le temps de me lever, Paige et Ana s'étaient déjà précipitées vers la porte d'entrée, elle savait très bien qui devait arriver. Lentement mais sûrement, j'arrivais à mon tour à l'entrée, alors qu'ils étaient déjà tous les trois partis dans un éclat de rire. « Bonsoir Ethan. » On aurait dit un étranger, et ça aussi, ça me faisait bizarre. De lui parler comme cela, alors qu'on avait passé des années ensemble. Je tentais de sourire, mais mon visage était tellement crispé qu'on aurait certainement dit que je grimaçais. Lui leva les yeux vers moi, et je n'aurais su dire ce qu'il pensait, contrairement à avant. « Phoebe. » Son ton était cordial, assez distant. « Les filles, allez chercher vos affaires. » Alors qu'il reposa la petite dernière au sol, je leur ébouriffais les cheveux au passage. Une gêne évidente s'installa alors entre nous, mais je tentais de faire bonne figure. « Tu vas bien ? » Aussitôt posée, je regrettai ma question. Je n'étais pas sûre que c'était le genre de questions que l'on devait poser à son futur ex-époux -si un jour toutefois, je signais ces papiers. « Oh, tu sais. » Il haussa les épaules, j'étais censée savoir ce qu'il voulais dire, mais je n'y arrivais pas. Il plongea son regard dans le mien, ce qui avait toujours eu le don de me déstabiliser. « Toi, tu as l'air en pleine forme. » Je plissais les lèvres, et fut presque soulagée d'entendre les filles arriver. Sacs sur le dos, elle étaient prêtes à partir pour le week-end. Comme toujours, les voir franchir le seuils de l'appartement me faisait un pincement au cœur. Je les embrassais chacune pendant de longues secondes, avant de reculer d'un pas. « Vous êtes sages avec papa hein. Allez bon week-end mes amours. » Je leur fis un signe de main, et mon regard croisa une nouvelle fois celui d'Ethan.